Aujourd’hui, la francophonie au Vietnam a perdu du terrain. Qu’on s’en attriste ou que l’on soit indifférent n’y change rien. Les productions culturelles anglo-saxonnes, chinoises ou coréennes ont envahi l’espace médiatique. Ce processus est inéluctable, malgré la vitalité des classes bilingues et l’engagement passionné de leurs professeurs pour la littérature française, prolongeant une longue tradition. Nous en avons parfois un écho, de plus en plus estompé au fur et à mesure que le temps passe, quand un vieil homme au corps las et à l’esprit vif, sur un banc au bord du lac Hoan Kiem, nous récite sans omettre un seul vers l’Océano Nox de Victor Hugo ou Le Lac de Lamartine. J’avais un grand père qui leur ressemblait. Il était métis et me récitait alternativement Kim vân Kiêu et la légende des siècles. Comme tous les enfants et adolescents, je m’en lassais parfois. « Encore Caïn qui s’enfuit de devant Jehova, encore l’histoire de Kim et kiêu », pensai-je souvent en haussant les épaules. Un peu ennuyeux, le grand père, un peu radoteur. La première fois que je suis venue au Vietnam, marchant en souriant, j’avais cru le voir apparaître, alors qu’il était mort depuis longtemps, venant à ma rencontre, silhouette fragile d’un de ces promeneurs du petit matin, quand il y a encore de la brume sur le lac. C’est lui qui m’a abordée, me demandant si j’étais française. Et lui aussi me parla de Voltaire, de Victor Hugo, de Montaigne, et lui aussi avait encore des centaines de vers en sa mémoire, qu’il me récitait avec les yeux brillants, ceux sans doute de sa jeunesse, quand il était professeur, comme il me le raconta. Je pensais aussi qu’il devait avoir des petits enfants, qui peut-être également trouvaient le grand-père un peu monotone, mais plus polis que les enfants français, je supposais qu’ils ne devaient rien laisser paraître...
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